La résistance des décideurs au concept de Saine Gestion, une explication.

Écrit par Bernard Brault le 05/12/2009

La caractéristique du modèle de Saine Gestion est l’homéostasie des valeurs qui font en sorte qu’un principe fondamental ne peut être invoqué au détriment des cinq autres.

Le concept de la Saine Gestion avec S et G en majuscule de l’OAAQ diffère de l’utilisation généraliste de l’expression saine gestion. La Saine Gestion est définie précisément par des principes fondamentaux et par un cadre d’application éthique d’une société de droit.

Développé et déployé il y a plus de 20 ans par l’OAAQ, le concept de Saine Gestion demeure peu connu du grand public. Du coté des milieux politiques et d’affaires ceux ci sont peut-être réticent à être les premiers à faire la promotion d’une approche aussi systématique et incorruptible.

Pour mémoire, au sens de l’OAAQ, le concept de Saine Gestion est une approche systématique et rigoureuse de gestion qui intègre, dans un modèle de type matriciel, les actes de gestion aux principes fondamentaux de Saine Gestion. Les principes et les normes d’application sont publiés par l’OAAQ dans le compendium des Principes de Saine Gestion Généralement Reconnus (PSGGR).

Ce n’est cependant pas étonnant que les tenants d’une approche de gouvernance plus traditionnelle manifestent une certaine réticence, voire une réserve, devant cette approche systématique de Saine et incorruptible Gestion.

Le modèle et le cadre de Saine Gestion définissent l’espace dans lequel évolue la gestion d’une organisation. Chaque acte administratif et chaque fonction de gestion (Planifier, Organiser, Diriger, Contrôler et Coordonner) sont assujettis aux six principes fondamentaux, à savoir : la Transparence, la Continuité, l’Efficience, l’Équilibre, l’Équité et l’Abnégation.

La caractéristique du modèle de Saine Gestion est l’homéostasie des valeurs qui font en sorte qu’un principe fondamental ne peut être invoqué au détriment des cinq autres. Ainsi, au nom du principe de Continuité, les gestionnaires ne pourraient justifier une dérogation à la Transparence.

C’est tout à fait l’inverse qui arriva dans l’affaire de l’agrandissement du pavillon de l’université du Québec à Montréal, lorsqu’en 2007, la direction générale jugea qu’elle ne pouvait dévoiler l’ampleur des véritables coûts de construction au conseil d’administration, prétextant que le conseil aurait pris une toute autre décision et le pavillon aurait sans doute jamais vu le jour. Leur conclusion : Ils ont substitué leurs pouvoirs sous prétexte que la Continuité était plus importante que leur devoir de Transparence. Imaginons maintenant que nous placions les cinq autres principes en ballotage avec le principe d’Abnégation et le risque des conflits d’intérêts. Explosif n’est-ce pas ?

Les organisations commerciales gérées par des conseils d’administration ont une logique coût/bénéfice qui les oriente vers la notion, non sans fondement, de profitabilité. Le modèle de Saine Gestion est une approche de viabilité et de pérennité des organisations. Bien qu’il y ait des liens évidents entre viabilité et profitabilité, la plupart des administrateurs de conseil d’administration opteront pour l’efficacité plutôt que pour l’Efficience de façon à maximiser le retour sur l’investissement à court terme.

En ce sens, la plupart des écoles de gestion des affaires (business administration) forment des gens d’affaires plutôt que des professionnels de la gestion. Il est alors tout à fait prévisible que le premier réflexe des gens d’affaires sera de combattre tout encadrement qui pourrait limiter la portée du développement de leurs affaires. L’effort de pro-activité pour implanter le modèle de Saine Gestion apparaîtra toujours pour ces décideurs comme un coût additionnel qui n’aurait pas, de prime abord, un retour clair sur l’investissement.

Le portrait pourrait cependant changer rapidement si les décideurs étaient confrontés à des pressions externes: petits actionnaires, institutions financières prêteuses, cadres intermédiaires, employés et syndicats. La Saine Gestion est une référence de gouvernance et se permet de dire les vraies choses en matière de gestion publique ou privée. Sans cette approche matricielle il se trouvera toujours quelqu’un pour passer à travers des filets tissés à grosses mailles. En réduisant la grosseur des mailles, nous espérons aussi diminuer la liberté des prédateurs.

Bernard Brault, F. Adm.A, FCMC, est consultant expert en Gouvernance, en éthique managériale® et en Saine Gestion. Auteur des livres Exercer la saine gestion, Fondements, pratique et audit, et Le cadre de Saine Gestion, un modèle de gouvernance intégré, publiés aux éditions CCH.


2 commentaires

par J.F. Bastien le 10/20/2010

Bonjour M. Brault,

J’ai lu avec un vif intérêt l’information que vous avez publié sur le concept de Saine Gestion. Cependant, en tant que chercheur, un détail m’échappe au sujet de ce que vous appelez « l’homéostasie des valeurs ».

Le concept d’homéostasie fait référence à l’autorégulation et à la capacité de maintenir un état stationnaire. Par exemple, les organismes biologiques cherchent à conserver une forme régulière et à se distinguer de l’environnement tout en maintenant un échange continu avec ce même environnement. Ces caractéristiques sont obtenues par des mécanismes homéostatiques qui règlent et dirigent le fonctionnement du système en se fondant sur ce qu’on appelle la rétroaction négative, selon laquelle une déviation de la norme engendre des actions destinées à la corriger. Ainsi, lorsque la température du corps humain s’élève au-dessus d’une limite donnée, certaines fonctions corporelles tentent de contrecarrer cette augmentation, et nous nous mettons à transpirer et à respirer fort.

Dans votre billet, vous affirmez que « la caractéristique du modèle de Saine Gestion est l’homéostasie des valeurs qui font en sorte qu’un principe fondamental ne peut être invoqué au détriment des cinq autres ». N’étant pas un spécialiste du management comme vous, je comprends que les systèmes sociaux aient eux aussi besoin de mécanismes de régulation homéostatiques afin de conserver une forme stable. Cependant, j’aimerais comprendre dans votre modèle, qu’est ce qui fait office de régulateur homéostatique? Aussi, comment définissez-vous la forme stable d’une organisation? Finalement, si une organisation totalement dysfonctionnelle a atteint une forme stable, recommandez-vous alors, en tant que spécialise du management, de troubler l’équilibre afin de tendre vers une forme possiblement à un degré d’entropie moindre?

Merci pour ce site fort intéressant et les explications que vous voudrez bien me fournir.

J.F. Bastien, Ph.D.

par Bernard Brault le 10/20/2010

Bonjour M. Bastien,
Je vous remercie de l’intérêt que vous portez à l’Institut et au concept de Saine Gestion.
La plupart des articles publiés sur ce site sont des articles de vulgarisation. Ils ne peuvent alors répondre à toutes les interrogations. Le livre de 400 pages que je viens de publier nous donne évidemment beaucoup plus de détails. L’angle de votre question est partiellement nouveau, donc intéressant. Ma réponse constituera alors une sorte d’essai que l’on pourra faire évoluer si vous le désirez. Je pourrais (nous pourrions) en publier un article sur ce site par la suite.
Il est vrai, par ailleurs, qu’il y a 20 ans, nous avons dû poser certaines hypothèses pour assurer une meilleure cohérence dans la définition populaire d’une gestion saine. Tout et n’importe quoi était à la mode (encore aujourd’hui). Le postulat de l’homéostasie se voulait non pas un état stationnaire mais un état de stabilisation, d’équilibre. Une organisation, comme un organisme vivant (Parson), doit maintenir un certain nombre de caractéristiques pour demeurer fonctionnelle et survivre : Le marketing, la production, les finances, le facteur humain, la concurrence, etc. Diriger une organisation (gouverner pour certains) amène fatalement à des contradictions entre la mission, les enjeux, les actionnaires, les moyens pour y parvenir, la morale ou l’éthique. Gérer est un paradoxe. (Pauchant).
Une organisation, comme un organisme vivant, est en constante recherche de cet équilibre pour survivre. Pour l’être humain qui dirige une organisation, faire des choix consiste à confronter des valeurs. En matière de Saine Gestion, nous retiendrons uniquement celles qui découlent de l’obligation de mandataire. (Même les gouvernants sont des mandataires, n’en déplaisent à certains milieux.)
C’est dans ce contexte qu’apparaît la notion d’homéostasie. Nous avions déjà déterminé la nécessité de retenir le principe d’équilibre pour pondérer au besoin les autres principes. L’homéostasie n’est pas un équilibre parfait. Son rôle est de maintenir ensemble des éléments qui ne seraient pas en soi l’unique élément de la vie, humaine ou de l’organisation. (La température du corps, par exemple, versus la pression, la chimie interne, etc.) Il en est de même pour les principes fondamentaux. Puisque nous avions déterminé qu’aucun des six principes fondamentaux était plus important que les autres, il fallait alors les appliquer tous en même temps pour assurer une Saine Gestion. Continuité, Transparence et Abnégation peuvent être sérieusement en contradiction dans la tête de certains gouvernants.
Il n’y a rien de parfait dans la nature, encore moins en gestion. Saine Gestion assure une cohésion, un état de stabilité minimale pour qu’une organisation survive. La stabilité est temporaire et généralement formée de mouvements en constante évolution qui doivent sans cesse se rééquilibrer. L’homéostasie permet de faire comprendre qu’une Saine Gestion n’est que la recherche soutenue de cet équilibre temporaire et qui fera avancer le bateau.

Maintenant, je tente de répondre à vos autres questions que je place entre vos lignes.

Q : Cependant, j’aimerais comprendre dans votre modèle, qu’est-ce qui fait office de régulateur homéostatique (ou homéostasique) ?
R : Si je comprends bien votre question, je dirais que notre postulat de base est la viabilité de l’organisation. Tout le monde n’est pas d’accord avec cette finalité. Il y a parfois contradiction entre l’intérêt de l’actionnaire et celui de l’organisation (protection du patrimoine) Le régulateur pourrait alors être la somme des pressions externes à l’organisation, donc de la capacité de gérer les paradoxes. Cette pression externe peut être l’opinion publique, un organisme de régulation (OAAQ ou ISG) ou encore une loi encadrant la profession de gestionnaire.
Sur le plan mécanique, la matrice de Saine Gestion est un classeur qui agit aussi comme régulateur en rappelant aux dirigeants l’ensemble des éléments qu’ils devraient tenir compte pour assurer la viabilité à leur organisation et la sauvegarde de leur intégrité. (!)
Il y a peut-être aussi un régulateur automatique : Nos observations de plus en plus systématiques lors de l’implantation du cadre de Saine Gestion sur le terrain, nous laissent croire que certaines organisations et dirigeants ont déjà implanté naturellement les valeurs de SG avant notre intervention. Par contre, d’autres dirigeants en sont totalement allergiques (surtout des hommes ???).

Q : Aussi, comment définissez-vous la forme stable d’une organisation ?
R : La stabilité n’existe pas en matière d’organisation. Le facteur temps est la réponse. (Pour l’être humain aussi je crois !) Je dirais alors : seulement lorsqu’aucune dérogation majeure aux PSGGR ne peut empêcher l’organisation de remplir sa mission ou de faire face aux enjeux à un moment donné. (Oui, cela est une question temporaire et fonction du temps). De grandes sociétés telles qu’Eaton au Canada finissent par disparaître parce qu’elles n’ont pu faire face aux changements, ou n’ont pu empêcher qu’une dysfonction s’installe à demeure. Il y aussi certains conflits d’intérêts de gouvernants mégalomanes ou psychopathes (voir l’article à ce sujet).

Q : Finalement, si une organisation totalement dysfonctionnelle a atteint une forme stable, recommandez-vous alors, en tant que spécialise du management, de troubler l’équilibre afin de tendre vers une forme possiblement à un degré d’entropie moindre?
R : La question est un paradoxe en soi ! La stabilité de la dysfonction amène à la mort à plus ou moins court terme. (François Hertel, Thierry Pauchant). Devons-nous tenter un sauvetage ou laisser mourir ? Une réflexion intéressante dans le cadre d’une démarche éthique : éthique médicale et éthique managériale (un des chapitres de mon nouvel ouvrage).

Bernard Brault F.Adm.A. F CMC

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