Conjuguer la gouvernance et l’éthique : La quadrature du cercle ?

Écrit par Bernard Brault le 25/08/2011

Un court essai, libre.

Si demain matin on remplaçait le code de la route par un code d’éthique….juste pour rire !

À l’instar du monde de la circulation automobile ou de l’aviation civile, il ne devrait pas y avoir de questions morales comme celles du bien et du mal en matière de gestion et de gouvernance. Il est juste de dire que l’éthique ne se résume pas à une question de bien et de mal, mais dans la croyance populaire, l’éthique est une panacée à tous les maux de la nature humaine. Cependant, rechercher une solution par l’éthique pour la gouvernance est peut-être un piège.

Après les scandales du printemps 2011, tant au Québec, au Canada qu’en Europe, sans oublier les allégations de malversations chroniques dans le financement des partis politiques, le vent frais de l’automne 2011 ne semble pas prometteur de changement. Le management et surtout la gouvernance réfléchissent encore si l’éthique et le leadership se conjuguent au temps présent. Réfléchir sur l’éthique pour uniquement orienter les actes de la gouvernance me laisse perplexe ! Cette approche a peut être une consonance plus scientifique, mais elle est peut-être plus près de la quadrature du cercle.

Éthique ou confiance ?

En matière de gouvernance, nous devrions plutôt parler de confiance, une question qui devrait pouvoir se résoudre par des conventions et des règles qui régissent les actes administratifs posés par des mandataires fiduciaires. Ceux-ci, redevables de leurs actes devant leurs mandants ou leurs commettants devraient avoir une obligation de Saine Gestion lorsque des biens et ressources d’autrui sont impliqués. Est-ce une question d’éthique ou une question d’obligation fondamentale d’un gouvernant, gestionnaire ou fiduciaire qui est au service de ses mandants ?

Mais de quelle éthique parle-t-on ?

L’éthique est d’ordinaire ce que l’on souhaite du comportement de l’autre, mais son application devient plus nuancée lorsqu’elle s’applique à soi-même. L’éthique est culturelle et demeure une expression personnelle de l’individu.

Il y a peut-être confusion des genres et poser la question de l’éthique pour la gouvernance pourrait s’avérer une question piège, une question où la science ne pourrait jamais trouver de réponse, tout simplement parce qu’il n’y a pas qu’une façon d’être éthique. Sans un contexte bien défini, l’éthique est bien ce que nous voulons qu’elle soit pour justifier nos actes. Vous connaissez l’eugénisme ? Il fut un temps, pas si lointain, où la gouvernance de pays dits civilisés trouva une justification scientifique de concert avec une éthique médicale douteuse pour leur thèse de sélection humaine !

L’éthique de la gouvernance, de la gestion, du travail, peut se définir par des façons d’être et de réagir qui peuvent s’avérer très variables selon les références sociales, culturelles et personnelles des individus. C’est ce que suggèrent les observations de MM. Laurent Fontaine et Thierry Pauchant(1). Selon ces auteurs, il y aurait plusieurs façons d’être éthique dans son travail, et tenter d’en imposer une seule conduirait à l’intolérance. Les auteurs présentent une mosaïque d’idées sur la perception qu’ont 36 personnalités québécoises issues de différents milieux et professions. L’éthique est un sentiment pour certains, des attitudes pour d’autres mais d’aucuns ne savent la définir de façon précise dans le cadre de leur relation avec leurs collègues et employés au travail, encore bien moins dans une relation de service mandant-mandataire. Nous sommes loin du consensus, s’il doit y en avoir un !

 La quadrature du cercle

Poser un problème impossible à résoudre est une façon classique de détourner l’attention d’un véritable problème. La quadrature du cercle, la trisection de l’angle et la duplication du cube sont des problèmes qui ont occupé les mathématiciens et scientifiques de l’Antiquité. La quadrature du cercle consiste à construire un carré de même aire qu’un cercle donné à l’aide d’une règle et d’un compas. Mathématiquement impossible en raison de la transcendance de π, elle occupera les neurones de beaucoup de scientifiques et apportera un travail inutile au cours de plusieurs siècles et encore aujourd’hui…?

Le risque, minime vous me direz, est peut-être de ne voir le salut que par la science. Est-il risqué que les décisions politiques, par exemple celles qui touchent la qualité de la vie et de la santé soient largement assujetties à des scientifiques non élus ? La science a-t-elle droit de vie ou de mort de patients au nom de la connaissance scientifique ? Qui doit se sacrifier au nom de la science ? Un nouveau traitement controversé, tel que la méthode du Dr Zamboni pour la sclérose en plaques, doit-il être refusé à des patients volontaires simplement pour permettre d’accumuler des preuves scientifiques ? Suggérons par ironie aux opposants scientifiques, un sondage auprès des personnes décédées de cette maladie !

Gagner du temps ? 

Tout ramener et tout justifier par l’attente d’études longues et complexes permet de gagner du temps, mais fait perdre celui des autres. Gagner du temps en occupant l’esprit et la controverse, parce qu’une étude scientifique sera forcément contredite par une autre étude scientifique.

L’exemple de l’eugénisme qui fut jadis l’éthique d’une gouvernance.

Parce que l’homme est un loup pour l’homme, les plus dangereux sont ceux qui se croient supérieurs et qui croient mériter richesses et honneurs par leur sang, par leur race. Le danger des scientifiques, c’est qu’ils puissent tout justifier par la science, en niant l’évidence et l’humanité, sous un couvert d’humanisme scientifique.

C’était au début des années 30 du siècle précédent. En Europe surtout, mais aussi en Amérique, la crise économique, l’impossibilité pour les gouvernements démocratiques de maintenir le plein emploi, la crise identitaire et culturelle ont créé un terrain propice à l’inconcevable. Ajoutons que l’aplatventrisme devant l’establishment scientifique de la médecine et le respect de l’ordre établi ont mené à une conclusion scientifique ahurissante : Le principe démocratique contribuait à l’affaiblissement de la civilisation en limitant le développement de l’élite. Bloquant littéralement la réflexion humanitaire, les preuves scientifiques s’amoncelaient. Permettre le pouvoir électoral à des gens jugés faibles d’esprit, incapables de réflexion, inintelligents, voire tarés était un frein inconcevable aux intérêts de tous et à l’intelligence supérieure de la race. En plus, ils pouvaient s’opposer aux décisions de la gouvernance élitique. C’est l’eugénisme. Ça vous dit quelque chose ?

Seulement pour la France, il y eut deux prix Nobel : Alexis Carrel(3) et Charles Richet(4). Ces deux scientifiques, par ailleurs de grands chercheurs médicaux, ont été des acteurs de premier plan de l’eugénisme, le premier en réclamant à partir de 1935 le gazage des délinquants et des malades mentaux estimés dangereux, le second en se déclarant favorable à l’élimination des enfants « tarés », ainsi qu’aux stérilisations imposées et aux interdictions de mariage. Un pas de plus, et les politiciens fascistes allemands décrétèrent que des races entières étaient dégénérées. Le monde s’embrasait pour s’opposer à une gouvernance d’élite dont l’éthique était celle de la supériorité de certaines races, nécessitant l’élimination des inférieures.

 Le cadre de Saine Gestion de l’ISG 

 La question éthique a indubitablement fait partie de notre réflexion, il y a 20 ans, lors du développement de ce qui est devenu le modèle de Saine Gestion et les principes de Saine Gestion généralement reconnus (PSGGR). Cependant nous ne recherchions pas un code de conduite éthique ou déontologique pour la profession mais bien des règles de l’art qui allaient assurer l’exercice d’une gestion que l’on pourrait qualifier de « saine » pour le bénéfice de l’organisation. Nous avons découvert (ou redécouvert) que des valeurs éthiques à elles seules ne pouvaient assurer quelque bonne gestion que ce soit. Bien gérer ou assurer une gestion saine ne saurait être réduit seulement à une question d’éthique !

 C’est dans cet esprit que l’on peut affirmer que « Saine Gestion » n’est pas un code d’éthique. Saine Gestion représente plutôt les règles de l’art de l’activité managériale. Ces règles de l’art de l’activité ont évidemment un intrant éthique. Cet intrant pourrait s’apparenter à une forme d’éthique managériale, c’est-à-dire à des valeurs liées au rôle de mandataire que l’on retrouve dans l’activité de management au même titre que l’éthique médicale ou l’éthique des affaires. Les règles de l’art du management représentent une activité professionnelle au même titre que la procédure d’un acte médical ou d’ingénierie.(2)

Quelle est la véritable question ? Celle de l’éthique ou celle de la confiance du mandataire, gouvernant ou gestionnaire ? Est-ce que la simple présence d’une forme d’éthique donne confiance ?

Lorsqu’un mandant confie des biens et ressources, ne devrait-il pas s’attendre à ce que la gouvernance remplisse sa mission et assure la protection du patrimoine ? Dans ce contexte, nous pourrions peut-être parler d’une forme précise de comportement éthique, celle du management, un peu comme l’éthique médicale.

 Mais là n’est pas la question !

Alors l’éthique, ou un code de comportement éthique, pourrait être un complément de valeur humaine et de courtoisie au code de la route, mais de là à le substituer …..

 ____________________________________ 

 (1) FONTAINE, Laurent et PAUCHANT, Thierry C., 36 façons d’être éthique au travail.  FIDES Presses HEC Montréal, 2009

 (2) Brault Bernard, Exercer la Saine Gestion CCH 2010

 (3) Alexis Carrel : L’Homme, cet inconnu, Plon, 1935

 (4) Charles Richet : Sélection humaine, Librairie Felix Alcan, 1913, 1919 Charles Richet fut membre fondateur dela Société française d’eugénique dont il sera le président de 1920 à 1926,

 


1 commentaire

par Guillaume Ducharme le 11/21/2011

Je pense que votre exemple du code de la route est très parlant. Il n’y a pas lieu de remplacer les règles strictes concernant les limites de vitesse par exemple par une forme d’autorèglementation basée sur une éthique de la conduite sécuritaire pour soi et pour les autres. Cependant, il y a lieu d’avoir une éthique au volant, pour toutes ces situations où il n’est pas possible d’introduire des règles strictes et claires, par exemple laisser passer une voiture qui veut tourner à gauche afin d’éviter qu’elle bloque toute la circulation. Nulle trace de ce comportement dans le code, bien qu’il soit souhaitable…

À mon avis la solution réside dans la codification formelle des comportements minimaux requis pour la vie en société, puis des balises éthiques pour le reste. Le tout bien évidemment basé sur une réflexion continue et une amélioration constante.

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