(To be translated soon) L’affaire Norbourg : Croire à la compétence, malgré la fausseté du miroir, en enviant la réussite du prestidigitateur – Épisode 2

Written by Bernard Brault on 02/06/2010

Préambules, questions méthodologiques et premiers faits probants.

Un Audit de Saine Gestion peut détecter des éléments factuels, en évaluer l’importance relative, puis faire ressortir l’incidence sur la capacité de remplir la mission d’une organisation, c’est-à-dire le risque lié au management

Ce qui distingue l’Audit de Saine Gestion1 des missions comptables est l’objet de l’audit, c’est-à-dire l’acte administratif et le référentiel qui collige les principes de Saine Gestion généralement reconnus (PSGGR) permettant d’analyser la conformité de cet acte.

Le programme d’Audit de l’OAAQ suit naturellement le modèle de Saine Gestion, soit l’examen des actes administratifs posés dans chaque combinaison construite des fonctions de gestion avec les six principes de Saine Gestion. Nous proposons au lecteur de suivre notre démarche en faisant imprimer la grille ou matrice des 41 cases du modèle de Saine Gestion.

Avertissement au lecteur

L’objectif de la présente démarche est démonstratif. Elle vise à présenter des éléments de faits qui étaient connus et auraient pu aisément être décelés par une intervention structurée tel que prescrit par l’OAAQ. La puissance de l’instrument est à la fois :

  • l’approche matricielle pour l’acuité du diagnostic et
  • la présence d’un référentiel de principes et normes, les PSGGR, pour appuyer une opinion professionnelle de conformité.

Les limites

La présente démonstration ne consiste pas en un Audit de Saine Gestion et ne comporte aucune opinion professionnelle au sens du chapitre 1, section 3, du compendium des PSGGR.

Les faits probants qui seront invoqués et développés ci-après, sont basés sur des informations portées à notre connaissance et qui n’ont pu être vérifiées. Toute interprétation autre que pour fins de démonstration pourrait ne pas convenir à l’usage attendu.

Hypothèses et conventions

Pour procéder à la démonstration nous allons baser notre analyse à partir des éléments de faits probants qui étaient connus bien avant le déclenchement de l’enquête par les autorités compétentes. Nous allons utiliser les éléments de faits qui sont rapportés dans les s’ouvrages de Yvon Laprade2, de Philippe Ternink3, et de Gilles Des Roberts4 ou d’autres éléments factuels pertinents de gestion qui pourraient être apportés par nos lecteurs.

L’examen de la gestion de Norbourg

L’affaire Norbourg éclate le 25 août 2005. Notre champ d’intervention se situe cependant bien en amont. Bien avant qu’il y ait eu des victimes et que les actes criminels posés aient laissé des traces indélébiles chez les victimes. Nous situons nos interventions potentielles entre le moment où Norbourg reçoit sa licence de conseiller en valeur, et le moment de la seconde enquête de l’AMF en 2005.

La gestion laisse des traces. Dans la mesure où l’on apprend à les déceler, par exemple l’absence de décision, ou l’absence d’une fonction de gestion devient susceptible d’indiquer des faiblesses ou des risques sur la viabilité de l’organisation. Le comportement des gestionnaires ne peut se camoufler avec autant d’aisance que les données financières. En particulier l’Équilibre, l’Efficience et l’Abnégation sont décelables avec une déconcertante facilité.

En matière d’Audit de Saine Gestion il est important de faire ressortir les éléments de non conformité ou de conformité qui ont un effet ou un impact direct sur la mission de l’organisation et ses enjeux particuliers. La société Norbourg avait pour mission de gérer des fonds de placement de plus de 9 200 épargnants. Nous devons garder en tête la description de cette mission qui sera au coeur des actes de gestion que nous évaluerons. De façon précise notre démonstration présentera des faits que nous apprendrons à comparer aux libellés des PSGGR.

Il faut bien comprendre que ce n’est pas un seul élément isolé qui permettra d’établir, même de façon démonstrative, la non-conformité de Norbourg. Comme dans un exercice réel, c’est la collecte d’éléments factuels probants, combinés et corroborés par d’autres éléments relevés par la matrice ou la grille de Saine Gestion qui auraient permis à un professionnel d’émettre une opinion.

Donc la construction de l’opinion se fait à partir de plusieurs analyses, idéalement sur l’ensemble des 41 éléments du modèle.

Pour mémoire la date fatidique où le scandale est révélé au grand jour est le 25 août 2005. Si les révélations et délations de deux personnages importants, Hébert et Asselin, n’avaient pas participé à précipiter la chute de Norbourg, combien de temps Vincent Lacroix aurait-il pu continuer son carnaval de bouffon?  Notre intervention portera sur des données factuelles, qui étaient connues ou que l’on aurait pu obtenir ou être informé à une date antérieure au 25 août 2005.

Trêve de bavardage, passons aux faits ! Ayez en main votre matrice.

Le 1er juin 2004 Gilles Des Roberts5 publiait un article résumant la position stratégique de Norbourg sur l’échiquier de l’industrie des services financiers au Québec.

« Fondé en 1998, le Groupe financier Norbourg continue de se frayer un chemin dans le secteur difficile et concurrentiel des services financiers, tandis que beaucoup d’autres firmes semblables ont carrément disparu ou ont été absorbées par de grands groupes. Norbourg emprunte la voie inverse et achète plutôt que de vendre. La société affiche 2,4G$ d’actif sous gestion et compte plus de 600 représentants répartis au Québec, en Ontario et au Nouveau-Brunswick. Une belle réussite et une vitesse de croisière étonnante! »

Contrôle interne

Nous commençons par un élément qui peut paraître un peu technique mais qui est essentiel pour la suite de la démonstration. Dans son livre, Philippe Terninck6 nous rapporte un point de départ intéressant. Une entreprise de cette dimension n’avait pas de système de contrôle interne. En octobre 2004, un nouveau comptable est engagé par Lacroix. À son arrivée dans la société Norbourg, le comptable Hébert constate des lacunes importantes dans les procédures de contrôle interne et de gestion des encaissements. En particulier, il constate entre autre l’absence de conciliation entre les fonds reçus des clients et les investissements dans les fonds de placement. Puis, il réalise qu’il existe aucun contrôle interne, ni même des procédures à cet effet. Cet état de fait probant est à notre avis majeur dans le contexte d’un fiduciaire de fonds de placement. Le lien avec la mission est évidemment direct. On se serait attendu à un ensemble de processus administratifs rigoureux pour gérer 2,4 milliards d’actif et 600 représentants, or l’absence d’un système approprié de suivi et de conciliation des encaissements est le point de départ de notre analyse de conformité.

Il est raisonnable de croire que cette information était facile à obtenir sur le plan managérial par simple entrevue et corroboration à un ou deux niveaux administratif. De plus, M. Philippe Termink et Jean Hébert étaient des employés qui n’avaient rien à cacher.

Nous constatons une dérogation importante l’article 4.5 (4) des PSGGR à la section Contrôle stipule que :

« L’administrateur qui exerce la Saine Gestion doit s’assurer qu’une démarche de contrôle, telle que définie au paragraphe 4.5 (2), est entreprise à chaque fois qu’un processus administratif est enclenché ».

La croissance rapide de Norbourg était l’excuse facile de Lacroix. En Saine Gestion il ne serait même pas une excuse valable. Il s’agit du plus élémentaire processus de contrôle interne que puisse exécuter un ou plusieurs comptables compétents.

Nous ajoutons également une dérogation importante à l’article 4.5 (5) des PSGGR à la section Contrôle:

« L’administrateur doit établir un système de contrôle interne adapté aux besoins de l’organisation et cela à tous les niveaux de la structure hiérarchique. (28-04-1998) »

Il est rapporté à plusieurs reprises que Lacroix tenait à exercer le contrôle par lui-même. Son style de gestion était autocratique et contrôlant. Et pour cause ! Tout le monde se questionnait sur la provenance des fonds qu’il utilisait pour ses acquisitions. Plusieurs le soupçonnait de puiser des fonds pour son usage personnel. Ne pouvant le démontrer il aurait été possible de soulever plusieurs autres dérogations aux PSGGR. Par exemple :

En voulant conserver le contrôle, nous devons constater une dérogation importante aux articles 2.5 paragraphe (5) et 4.5.4 paragraphe (1) des PSGGR respectivement de la section Équilibre et de la section Contrôle et abnégation.

2.5 (5) « Pour assurer l’équilibre, l’administrateur dirigeant doit mettre en place des mécanismes qui permettent de répartir et contrebalancer l’exercice du pouvoir. Cette norme ne vise pas la dilution du pouvoir mais la répartition équilibrée de son exercice entre des fonctions nécessitant des compétences et des habiletés différentes. »

4.5.4 (1) « L’administrateur doit dans le respect du principe d’abnégation faire en sorte qu’une démarche de vérification (NDA : interpréter contrôle) lui évite d’être placé dans une situation potentielle ou réelle de conflit entre ses propres intérêts et ceux de l’organisation qu’il est chargé de gérer. (05-05-2002) »

Dans la mesure où nous ne connaissons pas ses desseins criminels, nous nous contentons de relever que le Président aurait été mieux avisé de s’assurer qu’un processus de contrôle indépendant de lui-même ne le place dans une situation de conflit d’intérêts. De ne pas l’avoir fait était dérogatoire aux PSGGR.

De façon sommaire mais concluante, on constate donc plusieurs dérogations aux PSGGR dans les processus évalués. Cet état de fait a eu des conséquences majeures sur la viabilité de l’organisation, et aurait dû éveiller des doutes sur la qualité de la gestion de Norbourg.

Mais nous sommes encore loin d’une opinion globale de non-conformité. Nous devons continuer l’analyse.

À suivre …

Articles reliés:

L’affaire Norbourg : Croire à la compétence, malgré la fausseté du miroir, en enviant la réussite du prestidigitateur – Épisode 1

L’Affaire Norbourg : Illusion, quand tu nous tiens ! – Épisode 3

L’affaire Norbourg. La conclusion de l’audit – Épisode 4

__________________________________________________________

Notes de l’ Épisode 2

11 OAAQ, Compendium PSGGR, section 3, CCH, 2009

2 Laprade Yvon, Autopsie du scandale Norbourg, Québec Amérique, 2009

3Ternink Philippe, Dans l’antre de Norbourg, Les Éditions Voix  parallèles, 2008

4 Auteur de plusieurs articles contemporains à la période faste de Norbourg. Journal Finance et        Investissement

5Finance et investissement, 2004 www.finance-investissement.com

6 Op cit p.173


1 comment

by L’affaire Norbourg : Croire à la compétence, malgré la fausseté du miroir, en enviant la réussite du prestidigitateur – Épisode 1 « Institut de Saine Gestion / Institute of Sound Management at 10/29/2013

[...] L’affaire Norbourg : Croire à la compétence, malgré la fausseté du miroir, en enviant la réus… [...]

Comment on this article


Please, fill in all the fields Envoyer

Notify me when a comment is posted about this article.


Or, subscribe to the comment follow-up for this article, without commenting it.