(to be translated soon) L’affaire Norbourg. La conclusion de l’audit – Épisode 4

Written by Bernard Brault on 07/07/2010

Tel que promis voici le dernier texte portant sur l’affaire Norbourg. Pour mémoire, en 2005, des milliers de petits épargnants ont vu leur économie de retraite disparaître du jour au lendemain. L’affaire Norbourg venait s’ajouter à la collection d’histoires d’horreur managériale. Imbroglio de chassés-croisés entre divers intervenants, gestionnaires de fonds de placement, administrateurs de sociétés, banquiers, caissiers, comptables, vérificateurs, conseillers légaux et autres consultants qui semblent n’y avoir vu que du feu et de la fumée. Manifestement, leur jugement fut pour le moins affecté. Vincent Lacroix est en prison et bientôt plusieurs de ses employés passeront dans la casserole de la justice.

Notre propos ne portera pas sur les aspects criminels de l’affaire, d’autres le feront mieux que nous. Pour nous, l’affaire Norbourg représente beaucoup plus qu’une histoire de détournement de fonds et de fraude.

L’objectif est de répondre à cette question si souvent demandée.

  • Si des professionnels avaient conduit un audit de Saine Gestion et émis une opinion de conformité aux principes de Saine Gestion généralement reconnus, est-ce que cela aurait pu changer le cours des choses et éviter à des milliers d’épargnants les pertes causées par Vincent Lacroix et son équipe ?

Dans le chapitre 9 de la nouvelle édition d’Exercer la Saine Gestion qui sera consacré à l’affaire Norbourg, plusieurs faits et dérogations seront mis en lumière et viendront corroborer l’analyse entreprise dans ce mini-feuilleton. Nous vous présentons ici un dernier élément de fait puis le sommaire des principaux faits retenus et élaborés plus amplement dans ce chapitre à venir.

Continuité et vision à long terme

La plupart des interrogations que posait le milieu de la finance montréalais entre 2002 et 2005 sur Vincent Lacroix et sur le groupe de sociétés Norbourg portaient directement ou indirectement sur la viabilité de l’organisation. En ce sens, le principe de continuité à l’article 2.3. (1) nous rappelle que de façon générale :

« La continuité implique de plus une vision à long terme des entreprises et des organisations. L’administrateur doit, pour exercer la saine gestion, choisir parmi les avenues de solutions disponibles celles qui favorisent la survie ou la croissance à long terme de l’organisation qu’il gère. En matière de saine gestion, l’atteinte d’objectifs à court terme ne doit pas menacer la viabilité future. »

Dès la fin de l’année 2003, il y avait un malaise dans la gestion de l’organisation, sans doute consécutif aux acquisitions corporatives en cascade et à la rapidité déconcertante d’intégration de plus de 600 représentants. Pour plusieurs, Lacroix apparaissait comme un génie de l’organisation mais il n’aurait pas fallu gratter bien profondément à ce moment pour découvrir un litigieux malaise et peut-être s’interroger sur le risque potentiel que représentait la jeune et dynamique organisation pour les investisseurs.

Selon toutes vraisemblances, il y a un journaliste qui semblait avoir les mêmes doutes alors qu’il suivait de près l’évolution de cette curiosité du monde financier que représentait Norbourg. En août 2004, le journal Finance et Investissement titrait « L’exode se poursuit chez Norbourg » :

« Décision d’affaires, malaise par rapport à la culture de l’entreprise et sollicitation des concurrents expliquent les départs chez le nouveau tigre de la finance québécoise. Selon les informations recueillies par Finance et Investissement, un groupe de représentants gérant 400 M$ d’actifs ont quitté Norbourg la semaine dernière1 .»

Par ailleurs, on peut retracer dans les écrits d’Yvon Laprade et de Philippe Terninck certains faits probants démontrant beaucoup de contestation de la part des représentants. Ce qui aurait pu être considéré normal lorsque l’on marie plusieurs cultures d’entreprises rapidement, aurait pu prendre un tout autre aspect dans le cadre d’une évaluation managériale plus poussée.

Avant d’entreprendre l’élaboration de notre opinion, nous avons relevé les éléments de faits suivants tirés des mêmes sources. Le lecteur est invité à prendre connaissance de l’ensemble de la démonstration dans le livre qui sera publié cet automne.

  • L’absence de mécanismes permettant la répartition équilibrée de l’exercice du pouvoir.
  • L’incapacité de justifier ou de retracer les dépenses à cause d’un cafouillage administratif.
  • L’utilisation de sommes importantes à des fins autres qu’aux fins de la mission de l’organisation.
  • L’utilisation de sommes importantes à des fins personnelles de divertissement qui va au-delà de la normalité et de la raisonnabilité est déterminante sur le style de gestion.
  • L’absence de processus de contrôle interne.
  • La situation potentielle de conflit d’intérêts sur l’utilisation des fonds.
  • La culture d’entreprise et l’absence de politiques de résolution de conflits et de protection contre l’interruption des affaires.
  • L’absence de cadre de gestion, de politiques d’embauche et de descriptions de postes.

L’opinion de conformité

Nous arrivons au terme de notre analyse. Nous vous rappelons que l’objectif de l’exercice était d’abord pédagogique, c’est-à-dire se servir d’une histoire de cas réelle pour vous démontrer la logique d’une vérification managériale qu’apporte l’approche matricielle de la Saine Gestion. Elle permet l’évaluation du risque que peut constituer la gestion d’une organisation telle que Norbourg. La méthodologie menant à l’établissement de l’opinion de conformité est examinée en détail au chapitre 8 du même ouvrage2 .

Pour faire une analogie avec le sport, que ce soit le hockey, le soccer, etc., les coups de coude et les mises en échec sont sujets à une réglementation. Tous les coups ne sont pas permis et les écarts sont sujets à sanction au bon jugement de l’arbitre. Malgré tout, nous trouverons toujours quelques matamores qui nous laisseront croire que telle ou telle équipe aura perdu à cause des limites et de la sévérité de la réglementation et de la trop grande rigueur de l’application des règlements ; qu’il serait mieux de laisser la force physique l’emporter sur la règle de droit. C’est un peu la vision des tenants de la libre-entreprise et de la finance qui trouveront toujours les moyens d’insinuer que certaines entreprises n’auraient pas vu le jour si une trop grande surveillance managériale avait été mise en place.

Cependant, il y a des coups où la décision de l’arbitre est si évidente que personne n’oserait la contester. C’est en général ce type d’élément factuel et probant que l’on recherche et que l’on utilisera pour établir une opinion de conformité ou de non-conformité. En matière d’audit de Saine Gestion cela s’appelle le fondement de l’opinion.

Incidence et importance relative

Cette importance relative n’est pas immuable dans le temps, c’est-à-dire qu’une organisation et son management devront adapter le poids relatif de chacune des cases de la matrice en fonction de son évolution, de sa croissance et de sa phase de développement. Les obligations de Saine Gestion ne seront pas les mêmes pour une société en démarrage qu’une plus mature. Ainsi, les PSGGR accordent toute la souplesse et le jugement du gestionnaire en permettant une adaptation, par exemple, d’un système de contrôle interne en fonction des besoins de l’organisation et de sa mission, dans la mesure où le système ne met pas à risque la conduite de la mission ou sa viabilité économique.

Mission de Norbourg

Protéger et faire fructifier des placements de fonds communs étaient sans doute la mission officielle affichée. Dans la réalité, nous comprenons que la mission était d’enrichir l’actionnaire au détriment de ses mandants. Mais nous ne sommes pas censés le savoir au moment de préparer cet audit simulé.

Il nous reste une dernière hypothèse à poser. Nous serons bons joueurs et nous déclarerons que toutes les cases de la grille, pour lesquelles aucun élément de fait n’aura été porté à notre attention, seront jugées sine die conformes. Nous mettrons dans la balance tous les éléments de dynamisme de l’entrepreneur, de l’apparence de succès, du développement des affaires, de la communication marketing, du génie de la structure organisationnelle.3

La question de l’opinion se forge graduellement. Faites l’exercice, selon votre opinion, en vous limitant uniquement aux faits relevés précédemment.

Pour nous, compte tenu de la mission de Norbourg de protéger les actifs des investisseurs, dont la plupart sont de petits épargnants et du domaine des fonds communs de placement, et compte tenu aussi des éléments de conformité par ailleurs existants dans l’organisation4 et en s’appuyant sur les quatre plus importantes dérogations représentant un risque élevé ou majeur par rapport à la mission de l’organisation et à sa capacité de faire face aux enjeux d’une société de placements, voici le choix qui aurait pu servir à établir une opinion de non-conformité5

  • Fonctions DIRECTION et ABNÉGATION : L’utilisation de sommes importantes à des fins personnelles de divertissement qui va au-delà de la normalité et de la raisonnabilité est déterminante sur le style de gestion.
  • Fonction CONTRÔLE : L’absence de processus de contrôle interne.
  • Fonctions CONTRÔLE ET ABNÉGATION : La situation potentielle de conflits d’intérêts sur l’utilisation des fonds.
  • Principe de CONTINUITÉ : La culture d’entreprise et l’absence de politiques de résolution de conflits et de protection contre l’interruption des affaires.

Précision sur l’opinion de conformité

Pour mémoire, l’avantage principal de procéder à un audit de Saine Gestion plutôt que de procéder à une enquête pénale ou criminelle est que la conclusion de l’audit constitue une opinion professionnelle s’appuyant sur les PSGGR au même titre que l’opinion du vérificateur comptable s’appuie sur les PCGR. Les PSGGR sont des règles auxiliaires émises par un organisme indépendant. Elles s’insèrent dans l’ossature de la loi pour structurer et préciser le comportement attendu d’un mandataire et pour définir une gestion en personne raisonnable et prudente.

Le praticien devant s’appuyer sur des faits, dans la mesure où les faits ou la combinaison de faits sont probants, corroborés et concluants, l’opinion concerne uniquement le lien entre ces faits et les principes et normes de Saine Gestion. Voici le libellé qui aurait pu être rédigé par un praticien.

(…)   Selon les faits portés à notre attention et corroborés par des discussions et investigations subséquentes, nous sommes d’opinion que la gestion ou le cadre de gestion de la société Norbourg sur plusieurs points d’importance, n’est pas conforme aux principes de Saine Gestion généralement reconnus. Cette situation pourrait avoir un impact défavorable sur la viabilité de la société et sa capacité à remplir sa mission. Le rapport d’évaluation ci-joint est partie intégrante de la présente opinion et reconstitue des faits relevés.

Le jugement professionnel n’a donc pas de portée juridique ou pénale mais détient tout de même et à tout le moins, le même poids d’intérêt cartésien qu’une enquête empirique d’un journaliste.

Conclusion et discussion

Il serait presque impossible d’établir un jugement managérial dans le domaine du placement et de l’investissement au Québec et au Canada sans se référer au livre de Stephen Jarislowski6 pour établir notre réflexion et la mise en contexte de l’opinion que nous venons de porter sur la gestion de la société Norbourg.

La plupart des thèmes qu’il aborde dans son livre contribuent à démontrer : que le monde de la finance et du placement est très peu enclin à faire réglementer les conflits d’intérêts endémiques qui couvent sous les politiques actuelles ; que les législateurs au Canada et les tribunaux préfèrent laisser l’autorité aux administrateurs qui, manifestement, ne l’exercent pas toujours pour protéger l’ensemble des actionnaires ; et que finalement, on ne doive pas s’attendre dans un proche avenir à un véritable encadrement juridique plus spécifique pour la protection des actionnaires et investisseurs.

Les entreprises ont besoin de capitaux pour opérer. L’offre et la demande des titres et autres produits financiers se transigent dans un espace appelé « bourse ». Des courtiers, des analystes et un tas de vendeurs du temple, incluant les administrateurs de sociétés veulent avoir votre petit pécule pour faire fructifier leurs affaires et leurs intérêts.

Pour la plupart des investisseurs, c’est la cupidité qui les motivera à prendre des risques inconsidérés. Vu de l’extérieur, le monde de la finance ne semble se dynamiser que par le gain à court terme. Il y a aussi le casino qui offre cette possibilité. Sauf qu’il est plus facile d’influencer le marché que d’influencer le hasard. Il y a la cupidité de l’offre et la cupidité de la demande. Donc, la plupart du temps, notre culture chrétienne, considère que « le mal est combattu par le mal » et que finalement « tel est pris qui croyait prendre ». C’est avec une morale aussi simpliste que nous pouvons dormir tranquille !

L’affaire Norbourg nous amène vers une autre dimension : la responsabilité des mandataires. Il m’apparaît un peu trop facile d’invoquer la responsabilité du petit investisseur en dégageant celle de tous ces intermédiaires qui se sont vautrés dans l’assiette de commissions et de bonbons. De ces gestionnaires qui ont su vendre au bon moment entreprises et fonds communs de placement pour bénéficier personnellement d’avantages financiers colossaux, primes de départ, et autres bonis tout à fait légaux.

Pourquoi personne n’a questionné de façon formelle et systématique la gestion de cette étoile montante qu’était Norbourg ? Il ne suffisait pas simplement d’émettre un doute et de s’en laver les mains comme Ponce Pilate7 et comme beaucoup de gourous du domaine semblent l’avoir fait.

« Les petits épargnants comptent sur la diligence des administrateurs pour veiller à leurs intérêts, car ils ne jouent pas le moindre rôle au sein des entreprises dans lesquelles ils placent de l’argent »8 .

J’ai choisi cette phrase tirée du livre de Stephen Jarislowski pour démontrer d’abord l’état d’abandon de l’investisseur qui n’a pour la plupart du temps que la publicité pour porter son choix sur un placement, vers un courtier, vers une firme. Compter sur la diligence des administrateurs, ça veut dire quoi ? Vague concept de confiance et d’intégrité coiffé d’une attente évidente d’une gestion saine. Tous les investisseurs n’ont pas le flair de Stephen Jarislowski et les petits investisseurs n’ont pas les moyens d’utiliser les services-conseils de sa firme.

Outre les investisseurs institutionnels, s’il fallait que toutes les firmes de placement, de courtiers et de conseillers en placement ne comptent que sur quelques centaines de personnes vraiment riches qui ont en plus de leurs biens et des revenus hors normes, des millions de dollars à placer, ce n’est pas au Québec qu’ils feraient des affaires. En réalité, ils comptent sur un volume de petits épargnants qui placeront au fil des ans 1 000 $ à 5 000 $ chaque année et auront dans les meilleurs cas 200 000 $ ou 300 000 $ de capital à la retraite.

Une Saine Gestion dans le domaine du placement et en particulier venant de gestionnaires censés faire fructifier les placements de petits investisseurs à titre de mandataires, devrait privilégier une gestion sobre, des frais administratifs au minimum, n’accorder aucun privilège indu ou hors normes offert aux cadres et dirigeants, offrir une politique de rémunération basée sur les résultats à long terme et non sur la prétention de résultats immédiats, établir une politique de contrôle rigoureuse sur les dépenses de ventes, de marketing et de publicité. C’est essentiellement sur ces éléments qu’une opinion de conformité aurait pu être posée sur la société Norbourg et sur son PDG bien avant que le scandale n’éclate en août 2005.

Qui aurait pu intervenir et imposer un audit de Saine Gestion chez Norbourg ? En fait pour qu’un audit soit conduit dans une organisation, il faut l’obtention d’un mandat délégué par une autorité compétente : conseil d’administration, institution financière prêteuse, fiduciaire et gardien de valeurs, autorités réglementaires et autres organismes ayant des intérêts éventuels.

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1DES ROBERTS, Gilles,  Finance et Investissement, Août 2004.

2BRAULT, Bernard, Exercer la Saine Gestion. Gouvernance, éthique managériale et audit. CCH 2010

3Dans l’Antre de Norbourg » Op. cit.

4Selon l’hypothèse établie par ailleurs.

5Démonstration pédagogique uniquement.

6JARISLOWSKY, Stephen A. Dans la jungle du placement. Collection Affaires plus, 2005.

7 siècle après J-C) Préfet romain, procurateur de Judée de 26 à 36 qui selon les Évangiles, après avoir prononcé la sentence de mort de Jésus-Christ, alla se laver les mains en signe d’indifférence. Cette attitude est retenue aujourd’hui comme un signe d’irresponsabilité. Cf : Larousse 2005

8JARISLOWSKY, Stephen A.  Op cit p 60


2 comments

by Jean Tremblay at 07/08/2010

Y-aurait-il des petits Norbourg autour de nous? Parlons-en, c’est par la communication et par l’échange d’informations que nous pouvons repérer ces requins, ensuite il faudra espérer qu’une autorité demandera une opinion de conformité mais ça, est-ce pensable? Tous les petits investisseurs devraient le souhaiter!

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