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Financement des partis politiques : Jacques Chirac, maire de Paris de 1977 à 1995 (2e PARTIE)

Voici la seconde et dernière partie d’un article traitant du financement des partis politiques, et en particulier de l’affaire Jacques Chirac qui fait couler beaucoup d’encre ces temps-ci en France.  Nous poursuivons dans un contexte de leadership et de management du financement des partis politiques. Nous procédons à l’analyse de Saine Gestion et aux conclusions sommaires.


Avertissement au lecteur


L’objectif de la présente démarche est démonstratif. Il vise à présenter l’approche matricielle pour démontrer l’acuité du diagnostic et l’utilité d’un référentiel de principes et de normes, les PSGGR, pour appuyer une opinion professionnelle de conformité.


Les limites


La présente démonstration ne consiste pas en un Audit de Saine Gestion et ne comporte aucune opinion professionnelle au sens du chapitre 1, section 3, du compendium des PSGGR.


Les faits probants qui seront invoqués et développés ci-après sont basés sur des informations portées à notre connaissance et qui n’ont pu être vérifiées.


Toute interprétation, autre que pour des fins de démonstration, pourrait ne pas convenir à l’usage attendu.


Volet 1


Discussion sur le principe d’Efficience


De prime abord, dans l’affaire Jacques Chirac, les faits nous placent devant l’utilisation indue de ressources humaines normalement affectées ou dédiées aux bénéfices de la ville de Paris. Selon les différentes sources, entre 21 et 24 postes de la fonction publique de la mairie de Paris auraient servi, entre 1977 et 1995 et sous toutes réserves, à des fins autres qu’aux fins prévues pour la gestion de la Ville.


En matière de Saine Gestion, nous pourrions en premier lieu nous interroger sur le principe d’Efficience tel que définit dans le compendium des PSGGR :


2.4 (1)            «Efficience» : Qualité qui allie les caractères d’efficacité, c’est-à-dire l’atteinte des résultats, et d’économie des ressources dans l’acte administratif. L’administrateur est efficient s’il obtient un rendement optimal tout en maintenant une utilisation minimale des ressources.


2.4 (2)            Conscient que toute ressource est limitée, l’administrateur dans l’exercice de ses fonctions doit chercher systématiquement, avec diligence et au meilleur de ses connaissances, à utiliser au minimum les ressources qui lui sont confiées pour atteindre les résultats optimums anticipés.


Sur la base de ces faits, dans la mesure où les gestes posés relèvent d’un acte identifiable, il y aurait eu possiblement dérogation aux PSGGR, en particulier au niveau de la combinaison : Direction et Efficience :


4.4.10 (3)       L’administrateur doit faire usage des moyens et ressources uniquement pour l’atteinte des objectifs planifiés et pour l’accomplissement de la mission de l’organisation.


4.4.10 (4)       L’administrateur doit exercer un choix en adoptant des moyens efficaces, c’est-à-dire appropriés aux objectifs, à une utilisation minimale mais suffisante des ressources disponibles.


Il s’agit ici d’une faute au niveau administratif. En matière de Saine Gestion, l’importance relative d’une dérogation est liée aux conséquences (risques) pour l’organisation de l’acte administratif posé. La question qu’il faut poser se formule de la façon suivante :


Les faits allégués ont-ils eu pour effet de mettre à risque la capacité de la mairie de Paris de remplir sa mission ou encore de limiter sa capacité de faire face aux enjeux ?


Aucun élément porté à notre attention ne nous permet de le croire et d’y répondre. Cependant un cadre de Saine Gestion aurait fait en sorte d’intégrer précisément la responsabilité du décideur avec celle des exécutants.


Une autre question demeure en suspens. Il faut maintenant s’assurer que la faute de niveau administratif n’est pas reliée à une forme de conflit d’intérêts ou de corruption.


Voici maintenant le volet politique.


Volet 2


Discussion sur le conflit d’intérêts réel ou potentiel.

Nous avons exprimé quelques réserves au cours de la première partie de cet article quant au contexte traditionnel du leadership qui faisait en sorte que la reddition de comptes n’était pas dans la pratique des leaders. Le management rendait compte, mais le leader ne se considérant pas un manager n’avait pas de compte à rendre.


Il demeure maintenant à évaluer si dans un contexte de gestion intégrée entre les leaders politiques et le management, un cadre de Saine Gestion aurait pu gérer de façon pragmatique l’aspect politique.


C’est une question de conscience éthique ou en absence d’un cadre de gestion obligeant à une Saine Gestion, le leader pourrait ne pas avoir considéré la possibilité d’être dans une situation de conflit d’intérêts réel ou potentiel.


L’exercice du pouvoir qui permet de détourner les ressources d’une organisation à d’autres fins, ici politiques, nécessite tout de même une administration et des processus administratifs consentants. Même Arsène Lupin avait besoin de toute une organisation pour arriver à ses fins. La mairie de Paris a quand même quelques directeurs, adjoints, personnel de contrôle, service de la comptabilité, vérification et audit, n’est-ce pas ?


Évidemment en l’absence d’un cadre intégré de Saine Gestion, vous allez me répondre que ces administrateurs et gestionnaires n’avaient pas le choix d’accepter les décisions d’une si grosse pointure. Me direz-vous aussi qu’ils étaient tous du même coté politique et que finalement il s’agit de l’héritage d’une autre époque, une sorte de laxisme administratif permettant le financement des partis politiques, une sorte de tolérance tacite depuis des générations ? Dans ce cas, il est difficile de condamner qui que ce soit !


Par ailleurs, supposons qu’un cadre de Saine Gestion ait été en place. Les normes suivantes auraient pu être suggérées pour analyse.



4.4.13   DIRECTION ET ABNÉGATION


Normes


4.4.13 (1)       L’administrateur qui agit en personne raisonnable et prudente n’utilisera pas son pouvoir pour obtenir directement ou indirectement des avantages au détriment de l’entreprise ou de l’organisation. (28-04-1998)


4.4.13 (2)       Plus que quiconque dans l’organisation, l’administrateur doit comprendre et respecter le principe d’abnégation. Il ne doit pas rechercher ni s’octroyer des avantages autres que ceux qui lui sont explicitement ou implicitement accordés par ses mandants.


4.4.13 (3)       L’administrateur doit s’assurer que les processus, les politiques et les moyens visant les conflits d’intérêts réels ou potentiels sont respectés par les membres dirigeants et les employés de son organisation. (05-05-2002)


En France, le fait que les mêmes principaux partis s’impliquent à tous les paliers  politiques (municipal, départemental, régional, national, voire européen) et que les mandats sont cumulables (député-maire, etc.) ajoute un peu à la confusion. Y a-t-il conflit potentiel entre la mairie de Paris et la présidence de la République, présente ou éventuelle ? À vous de nous le dire !


Par contre, au Canada, les partis municipaux n’ont rien à voir avec les partis provinciaux ou fédéraux. De plus, le cumul des mandats est strictement impossible. Alors cet article 4.4.13 (3.7) pourrait avoir un tout autre effet. C’est dans ce cas précisément que le financement de partis nationaux par des enveloppes brunes municipales pourrait suggérer certains retours d’ascenseur à des fins partisanes.


4.4.13 (3.7) L’administrateur ne doit pas exercer quelque fonction que ce soit qui entre en conflit avec celles exercées pour l’organisation.

Dans un contexte d’application de Saine Gestion au Canada, il y aurait en effet une certaine forme de conflit d’intérêts entre le poste de maire et celui de candidat, à quelque niveau que ce soit.


Volet 3


Corruption


On entend généralement par corruption, l’octroi et l’acceptation d’un avantage à caractère personnel, un bien, une sorte de cadeau démesuré, de quelque forme que ce soit, – on nomme ici enveloppes brunes – qui a clairement pour objet d’acheter une faveur, un bénéfice, un contrat.


Il y a corruption lorsque la décision prise par un gouvernant n’est plus assurément en faveur de l’organisation qu’il gère, puisqu’il gouverne sous influence.


En matière de Saine Gestion et pour l’OAAQ, cela s’appelle un pot-de-vin. Voici quelques définitions (psggr 4.4 (13))


«Cadeaux» : Un cadeau est ce qu’un donateur accorde ou cède à un récipiendaire sans contrepartie. Le terme « cadeau » comprend entre autres et sans s’y limiter : bien, objet, voyage, argent et espèces négociables, avantages et privilèges.


« Pot-de-vin » : Constitue un pot-de-vin, un cadeau pour lequel le donateur s’attend à recevoir une contrepartie sous forme de faveur ou de contrat commercial, d’avantage monétaire ou de contrat (30-06-2005)


« Marque de courtoisie » : Constitue une marque de courtoisie, des repas et autres divertissements de valeurs négligeables et comparables aux us et coutumes d’un secteur économique similaire, dans la mesure où ils représentent une civilité, une marque d’hospitalité et qu’ils ne peuvent être attribués à une recherche d’un traitement préférentiel ou d’un avantage indu.


Un cadeau et une marque de courtoisie peuvent être remis à l’occasion de rencontres d’affaires pour le maintien de bonnes relations commerciales.


Nous croyons qu’il est inopportun d’invoquer la corruption ou la malversation devant les actes administratifs posés et analysés dans le présent article.

Conclusion


Gouvernance gentille ou gouvernance responsable !


A) Le véritable intimé dans la présente discussion est le financement des partis politiques. Parce que c’est de cela qu’il s’agit. L’argent est le nerf de la guerre, et notre fragile démocratie n’y échappe pas. En France ou au Canada, la présence du poids et contrepoids sur la place publique est primordiale pour éclairer (ou assommer) le pauvre électeur. Les technologies post-modernes et les consultants en image et communication rivalisent d’imagination pour conquérir notre ultime geste dans l’isoloir, cela coûte cher, horriblement cher, mais c’est le prix de notre fragile démocratie.


Pour ceux qui croient, québécois ou français, que cet argent serait mieux dans vos poches, sans doute ! Mais demandez-vous si dans un autre type de régime, cet argent serait de toute façon dans vos poches !


B) Le second responsable dans cette affaire est l’idée que l’on se fait du  leadership : L’immunité managériale. C’est ce que pendant quelques décennies certains penseurs de management ont tenté de nous faire croire. Notre convergence avec le professeur Henry Mintzberg est notable.

Mintzberg déboulonne littéralement l’un des mythes les plus tenaces sur le leadership.[1]

« Le leader fait les bonnes choses, le gestionnaire fait les choses bien »


Pour se soustraire au contrôle et à la reddition de comptes, on n’avait qu’à citer ces phrases socialement percutantes mais stéréotypées et lourdes de sens.


Quel narcissisme ! Quelle omnipotence ! Quelle horreur ! C’est pourtant ce que l’on nous a servi pendant 20 ans lorsque en matière de Saine Gestion on tentait d’expliquer que les leaders étaient aussi des gestionnaires et qu’ils devaient se soumettre à une obligation de Saine Gestion. Mintzberg suggère dans ce même article que cette approche serait la source principale des scandales financiers aux États-Unis.


C) Le troisième responsable dans cette affaire est la tolérance endémique dans nos sociétés modernes devant une gestion flasque, molasse et trop gentille, de la part des leaders jusqu’aux bureaucrates. Il n’y a pas que les contrôles et les résultats comptables. Il y a des actes administratifs, des décisions qui doivent être évaluées. Une gestion sans véritable reddition de comptes sur le plan des décisions administratives ouvre la porte à toutes les malversations possibles. Où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie !


Si un cadre de Saine Gestion avait été en place, il est possible qu’il aurait rappelé aux décideurs que devant une reddition de comptes sous une approche matricielle, ces derniers auraient finalement trouvé d’autres moyens plus acceptables pour financer la politique. Il est possible aussi, uniquement par un rappel à leur conscience éthique que l’intégrité aurait eu bien meilleur goût.


Le politique définit les choix de société, le dirigeant d’entreprise oriente ses stratégies marketing, le capitaine sur son navire décide du cap à prendre pour son navire. Tous ont en commun la responsabilité de leur équipage, de leur navire et des actes qu’ils posent.


Saine Gestion est apolitique, ni de gauche ni de droite. Terminons sur un bref rappel ce qu’est Saine Gestion :


  • Saine Gestion est d’abord un concept qui trouve ses racines dans la Loi des Sociétés de droit et dans la compréhension éthique d’une relation entre un mandataire et son mandant.

  • Saine Gestion s’articule dans un modèle qui met en relation les 6 principes de Saine Gestion, avec les fonctions de gestion classique.

  • L’Ordre professionnel des administrateurs agréés du Québec a développé et colligé au début des années 1990 des règles auxiliaires de juri-administration, un peu comme en comptabilité, pour exprimer l’obligation de Saine Gestion relative à chacune des 41 cases du modèle. (Environ 350 principes et normes : ce sont les PSGGR)

  • Finalement le modèle, appelé aussi matrice, délimite un cadre où s’exerce une gestion conforme aux concepts de Saine Gestion. Ce cadre de gestion, appelé CDSG propose au gestionnaire des actions à prendre pour se conformer aux PSGGR. Éminemment pratique et adaptable à chaque type d’organisation publique ou privée, le CDSG exprime le QUOI faire et le COMMENT faire au quotidien.


Je tiens à remercier mon collègue Olivier Crouslé, PhD, français d’origine mais bien canadien, pour avoir agi à titre de consultant en affaire française pour la préparation du présent article.

En espérant le tout conforme à vos attentes, chers lecteurs,


Bernard Brault F.Adm.A. F CMC


Institut de Saine Gestion.


Bernard Brault, F. Adm.A, FCMC, est associé principal chez Deveaux Brault et Associés. Il agit a titre de consultant expert en Gouvernance, en éthique managériale® et en Saine Gestion depuis plus de 20 ans. Auteur des livres Exercer la saine gestion, Fondements, pratique et audit, et Le cadre de Saine Gestion, un modèle de gouvernance intégré, publiés aux éditions CCH.


(1) The Best Leadership Is Good Management, Businessweek, 6 août 2009

 
 
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