Saine Gestion : Pour protéger l’intégrité de la gouvernance municipale
- Bernard Brault
- 9 nov. 2010
- 7 min de lecture
Le 4 novembre dernier, un reportage d’Alain Gravel à l’émission Enquête de Radio-Canada révélait encore des attitudes et comportements à saveur de scandales dans le domaine municipal. Les dérapages dans le monde de la gestion municipale ne sont peut-être pas nouveaux mais à l’échelle des scandales médiatisés ces jours-ci ils sont en train de détruire la réputation de l’ensemble des gestionnaires et élus municipaux.
Comment faire taire l’opinion publique devant autant d’apparence de corruption et de conflit d’intérêts réel ou potentiel ? Évidemment le législateur québécois tentera de faire le ménage, par une législation bien sûr, avant que la place publique ne devienne, entre les opposants politiques et les journalistes, une foire d’empoigne continuelle et contre-productive !
Nous attendons tout de la loi. Pour certains cénacles, il n’y a de place qu’au droit et à l’encadrement juridique. Hors du droit, point de salut ! C’est ce que certaines personnes de formation juridique tenteront de nous convaincre. Judiciarisons l’éthique municipale ! Près de 1100 municipalités auront un commissaire à l’éthique. Tous ces juristes pour répondre à des questions d’éthique regardant la profession de gestionnaires.
On peut imaginer aisément un élu demander s’il peut se faire creuser une piscine par un entrepreneur local. S’il a le droit d’acheter son véhicule (de moins de 15 000$ bien sûr) par le concessionnaire local qui est aussi fournisseur de la municipalité. S’il peut faire engager sa belle-sœur ou sa maîtresse à titre de secrétaire aux loisirs etc. Jusqu’à quel point le droit de gérance lui permet le harcèlement et la déblatération verbale ? Et le droit de créer une fiducie discrétionnaire pour gérer à loisir les fonds municipaux sans avoir à rendre compte de l’usage. L’attribution des contrats municipaux en sera plus efficace bien sûr. Ajoutons, qu’à ce jour, la loi permettra à chaque citoyen de soulever des questions d’éthique auprès des élus.
Et si ce n’était pas seulement une question de droit, mais de management et d’éthique
managériale. Le risque de développer un code de comportement éthique pour la gestion publique et municipale sans une vision intégrant une obligation de Saine Gestion est aussi importante que le risque de procéder à un développement urbain sans plan d’urbanisme.
L’excellent reportage de Radio Canada est, à mon avis, révélateur d’au moins quatre évidences managériales.
1) Où il y a de l’homme, il y a de l’hommerie, comme dit l’adage populiste.
2) La notion de conflit d’intérêts potentiel ou réel est à peu près totalement méconnue des élus et des citoyens.
3) Les rôles, pouvoir, et devoirs des élus et des fonctionnaires municipaux sont en conflits perpétuels : ingérence et subsidiarité, ne connaissent pas !
4) Les élus à perpétuité (de longue durée) créent un phénomène d’enracinement royal.
L’homme et l’hommerie
Le citoyen : Il faut reconnaître qu’il y a des gens (les grandes gueules) qui ont l’art de crier au loup pour tout et pour rien. Qu’il y a des attitudes revanchardes qui nuisent à la clarté d’un débat. Qu’il y a des activistes et des illuminés qui ont une vérité révélée et qui adorent animer un débat pour prendre le plancher et clouer sur le banc les meilleurs politiciens. Et il y a tous les citoyens qui ont un motif personnel, pour venir foutre le bordel dans toutes les rencontres publiques du conseil municipal. Lorsque l’intérêt d’un seul l’emporte sur l’intérêt collectif, quelqu’un doit trancher : c’est le rôle du politique !
Lorsque les politiciens ne prennent pas de décision, nous assistons à l’imbroglio du métro de Montréal, du boulevard Notre-Dame, de l’échangeur Turcot, du CHUM. (Je dois en oublier quelques-uns !) Mais les citoyens ne sont pas seuls en cause bien sûr !
L’Élu municipal : Avant d’être élu, il était aussi un citoyen. Souhaitons qu’il ne fût pas avant d’être élu dans une des catégories précédentes! Du moins sera-t-il plus enclin à écouter le citoyen au début de son mandat plutôt qu’à la fin. L’ivresse du pouvoir gonfle les égos. Les élus devront malgré tout expliquer et convaincre le bien-fondé de leur décision, répondre aux allégations en toute
Transparence et servir avec intégrité leurs commettants. Les nouveaux élus ont un pouvoir démocratique. Ils devront faire des choix et définir les orientations stratégiques. Fatalement, certains citoyens seront déçus. Les élus seront confrontés à des choix qui seront directement en contradiction avec leur intérêt personnel. (Valeur foncière de leur propriété, transaction immobilière défavorable ou très favorable, etc.) Ainsi certains élus pourront être tentés de profiter de leur position de pouvoir pour éviter certains inconvénients ou carrément profiter des choix politiques.
Le fonctionnaire : Il est permanent. Il assure la Continuité et une certaine assurance de la solidité de l’institution. Ces dirigeants seront toujours inquiets. Le roulement important à tous les 4 ans des élus municipaux crée une tension tangible sur la structure managériale de ses organisations, dont certaines sont très petites. Les dirigeants sont assis sur des sièges éjectables, malgré leur rôle de permanence managériale. Les employés municipaux sont plutôt allergiques aux changements brusques. Ils oublient parfois qu’ils sont au service des citoyens, et que s’ils doivent appliquer des politiques et règlements impopulaires, ils doivent assurer l’Équité et l’Équilibre en assumant leur pouvoir discrétionnaire. C’est une question souvent d’attitude et d’éthique managériales. Sous le conseil municipal, il existe une ruche fébrile qui opère au quotidien les services municipaux. C’est une organisation qui, malgré quelques particularités, doit faire face aux mêmes problèmes managériaux que toute autre organisation comparable en importance de personnel et de budget : Abus de pouvoir, incompétence, résistance aux changements, conflit de travail, comportement illicite, harcèlement, dirigeant de type psychopathe organisationnel, corruption et trafic d’influence.
Le conflit d’intérêts
L’ignorance, l’amnésie et l’inconscience éthique sont des excuses trop faciles mais tolérées. Peu de cas font l’objet de sanction réelle. Nemo censetur ignorare legem[1]. Chacun est censé connaître la loi, cependant même si toutes les lois étaient connues de tous, seraient-elles comprises de tous ? Probablement pas. Il y a pourtant une certaine forme de morale ou d’éthique sociale et managériale qui devrait être inculquée à tout citoyen. Surtout si un jour ce citoyen veut faire valoir sa capacité d’être au service de ses semblables. L’intégrité c’est quoi ?
Comment expliquer au citoyen devenu maire ou conseiller municipal, les subtilités du conflit d’intérêts et du principe d’Abnégation, alors qu’il était habitué de donner un billet vert au préposé du déneigement municipal pour que son entrée de voiture soit partie intégrante du service municipal. Vous n’y voyez pas grand mal peut-être, c’est là le drame ! Que feront-ils ces nouveaux élus devant le plat de bonbons. Auront-ils une petite gêne au moins ? (Monsieur Charest allez-vous légiférer sur ça aussi ?) Le pouvoir d’influence qu’ils ont acquis désormais avec l’élection pèsera-t-il dans la balance lorsque leur épouse ou leurs enfants seront engagés par le plus important fournisseur de la ville.
Ce n’est pas seulement une loi qui encadrera l’éthique municipale et qui règlera le problème. Aussitôt promulguée des avocats s’évertueront en contourner les failles et les tribunaux seront encore plus sollicités par des conflits juridiques interminables qui ne nourriront que les avocats. (Société de droit).
L’ISG propose simplement une obligation de Saine Gestion. Saine Gestion n’est pas une gouvernance tolérante et gentille, elle est une gouvernance responsable.
La notion de conflit d’intérêts et l’obligation de l’éviter sont liées en matière de Saine Gestion au principe d’Abnégation. Ce concept est peu et mal connu du public en général, des citoyens, et donc des élus qui sont issus du même milieu. Pourtant s’il y a une définition qui pourrait être claire et précise, c’est bien celle du conflit d’intérêts. Pour toute personne qui est en position de mandataire, c’est-à-dire chargée de gérer des ressources et des biens qui ne lui appartiennent pas, la distance s’impose sous forme d’Abnégation. Mais le conflit d’intérêts et la prévention sont aussi une question d’attitude et de conscience éthique. Cela ne veut pas dire ne pas avoir d’intérêt; il s’agit de subordonner ses intérêts personnels à ceux de l’organisation. Eh oui ! cela veut dire aussi de ne pas se placer dans une situation qui pourrait laisser croire à un tel conflit. Le problème en matière municipale relève de la proximité des municipalités avec la vie quotidienne des citoyens. En matière municipale, le conflit potentiel est appréhendé à chaque coin de rue, à chacun des travaux publics.
Ingérence et subsidiarité, une question d’Équilibre
En matière municipale, c’est probablement une des notions les plus complexes à tenter de conscientiser. Comment départir le rôle de l’élu de celui de la fonction publique dans un cadre managérial souvent peu formel ? L’ingérence est de se mêler de ce qui ne regarde pas le rôle de l’élu. (L’ingérence est quand l’élu joue un rôle autre que le sien). Mais qu’est-ce qui ne regarde pas l’élu ? Il a une responsabilité devant ses commettants. Sur cet aspect, l’ISG propose aux élus une définition intéressante du principe de subsidiarité. L’objectif est de faire en sorte que l’autorité supérieure assume son rôle de cadre et n’intervienne que lorsqu’une autorité située à un niveau hiérarchique subordonné aura révélé son incapacité d’agir à l’intérieur de son champ de compétence.
L’autorité supérieure a non seulement un devoir de protection de l’autorité inférieure, mais elle a aussi l’obligation d’intervenir à l’intérieur de ses champs de responsabilité, le cas échéant.
Nonobstant ce qui précède, une autorité supérieure n’interviendra que lorsqu’une autorité située à un niveau hiérarchique inférieur aura révélé son incapacité d’agir à l’intérieur de son champ de compétence
Le cadre de Saine Gestion permet de mettre en œuvre une répartition efficace des rôles et de la répartition des pouvoirs délégués entre le conseil municipal et la direction générale. L’approche multicouche répartie entre différentes instances décisionnelles sert la responsabilité d’application des principes de Saine Gestion. (Voir le CDSG)
Les élus à perpétuité
S’il y a un domaine qui aurait matière à législation, c’est bien celui du nombre de mandats consécutifs pouvant être brigués pour les postes de maire ou de conseiller, en particulier lorsqu’il y a élection sans opposition.
Être au service de sa population avec toutes les contraintes que cela comporte, incluant la prévention de conflit d’intérêts direct ou indirect, c’est-à-dire incluant sa famille immédiate, son conjoint et ses enfants, ne devrait pas rendre assez confortable un poste pour qu’un petit roi s’installe dans un royaume à perpétuité.
Élu municipal ne devrait être que de passage dans la vie politique d’une municipalité. Bien sûr il y a des projets politiques qui nécessitent plusieurs mandats. Mais après deux ou trois mandats il y a une sorte de distance que l’élu ne peut plus conserver face à la fonction publique.
Malheureusement les systèmes politiques hérités du système britannique n’ont pas ce principe de limiter la durée des mandats des dirigeants comme aux États-Unis par exemple.
Souhaitons à tout le moins que les élus et dirigeants municipaux adhèrent à la précieuse intégrité qu’offre Saine Gestion.
[1]Trad. : Nul n’est censé ignorer la loi.



