Vous avez dit « Abnégation » ?

Écrit par Bernard Brault le 10/02/2011

Un de nos lecteurs nous faisait parvenir ces quelques lignes dans le cadre de nos discussions sur les cas de mauvaise gestion, mais aussi en lien avec l’affaire Moubarak.

«Je suis un universitaire en Turquie (Istanbul) qui a étudié en France mais jamais au Canada. Je trouve votre proposition très attirante ( …. ) Le cas que je veux vous soumettre peut s’appliquer à n’importe quel pays, mais pour faire dans le concret, que dire de Mr. Hosni Moubarak qui s’accroche au pouvoir? N’est-ce pas là un parfait exemple de non-abnégation? ( … )

Comment, dans un pays tel que le Canada, appliquez vous le principe d’abnégation à ces dirigeants obnubilés par le pouvoir ? ( … ) » [sic]

Arman

Horribilis causa

De façon un peu maladroite, le nouveau directeur général d’une grande société publique vient de lâcher le mot « abnégation ». Tel un coup de fusil pendant la période de la chasse, la faune s’est subitement tue. C’est la consternation. À la table de réunion autour de laquelle siège depuis une heure le conseil d’administration, débattant sur des allégations de pratiques commerciales douteuses et de conflits d’intérêts, un des administrateurs n’est pas sûr d’avoir compris «  What did he say ? ». Son voisin immédiat essaie de lui répondre, en détachant les syllabes, ab-né-ga-tion, «same thing in english» ! Immédiatement, un autre administrateur répond:

- Il veut dire sa propre abnégation à titre de gestionnaire !

Puis le secrétaire ajoute au tumulte la phrase prévisible et omnipotente :

- Évidemment cela ne s’applique pas de la même façon pour les leaders que pour les gestionnaires. Nous, les administrateurs de sociétés, avons des préoccupations stratégiques, nous faisons les bonnes choses pour nos actionnaires (ou notre peuple), le gestionnaire, lui, c’est normal, il doit faire les choses de la bonne façon ! Notre niveau de préoccupation mérite une marge de manœuvre différente. Nous devons nous en tenir uniquement à l’intérieur des pratiques pouvant être défendues par nos avocats !

L’atmosphère s’est réchauffée, la faune a repris son murmure, et le directeur général n’osera plus jamais prononcer cet … oh …  horrible mot.

Leader politique, leader d’affaires et Saine Gestion

À l’origine, Saine Gestion a été développée pour définir et encadrer une profession, c’est-à-dire préciser et délimiter le rôle, les pouvoirs et les devoirs des gestionnaires, dans un cadre éthique des relations entre mandants et mandataires. Ce concept est une forme de rapprochement entre le droit et la société, c’est-à-dire la réalité du terrain que rencontrent les professionnels de la gestion. Saine Gestion n’est donc pas limitée au droit canadien !

Il est déjà difficile de faire comprendre à nos politiciens et gouvernants de grandes sociétés publiques et privées dans des pays démocratiques, cette notion de subordination d’intérêts personnels en cas de conflit entre ses intérêts et l’intérêt public. On peut aisément imaginer la difficulté d’émettre le mot abnégation dans des sociétés où des dirigeants omnipotents et suffisants, ainsi que leur armée de sous-fifres grassement récompensés, ne font pas la différence entre les biens publics, ceux de leurs commettants et leurs biens personnels. Comment justifier l’injustifiable autrement que par le droit divin et l’omnipotence narcissique?

Par contre, ce qu’il y a de surprenant, c’est que les valeurs de Saine Gestion et celles d’Abnégation, en particulier, ont la même portée éthique pour toutes les relations qui existent entre un mandataire et son mandant, peu importe les sociétés, les religions, le système économique, les politiques plus à gauche ou plus à droite. Saine Gestion est un outil de discussion et d’application, je dis, « presque universel », pour me garder une petite gêne.

Je vous propose un petit extrait du chapitre sur les principes fondamentaux de Saine Gestion (1) :

Le soir du 12 mai 2010, avant le dernier match de hockey qui opposait Les Canadiens de Montréal aux Penguins de Pittsburgh, les commentateurs sportifs ont utilisé naturellement, à deux reprises, le terme ABNÉGATION. Une première fois, pour signifier aux joueurs des Canadiens ce que l’on attendait d’eux pour le match. La seconde fois, après la victoire la plus improbable jamais décrite, pour exprimer qu’ils avaient fait preuve de discipline et d’ABNÉGATION, c’est-à-dire qu’ils avaient participé à un effort collectif et une victoire qui fait déjà l’histoire. L’intérêt de l’équipe l’emportait sur l’intérêt d’un seul. L’ABNÉGATION n’a pas limité les personnalités dominantes de la défense et celle charismatique du gardien de but. Les attaquants jouaient le rôle requis au moment stratégique de concert avec l’ensemble de l’équipe. Quelques fenêtres d’opportunités se sont ouvertes et les attaquants de l’équipe ont su saisir ces occasions pour placer la rondelle au but. L’improbable victoire apporta satisfaction pour tous. L’ABNÉGATION ne fit pas de ces joueurs des gens moins bien payés!

Principe d’Abnégation

Le principe d’ABNÉGATION est un principe dit de comportement qui balise la conduite d’un administrateur dans l’exercice de ses fonctions. Ce principe aborde plusieurs notions qui ont essentiellement pour objectif de rappeler aux administrateurs que leur rôle consiste à se dévouer à la protection des ressources et à la sauvegarde du patrimoine de l’entreprise ou de l’organisation qu’ils gèrent :

- la subordination des intérêts de l’administrateur à ceux de l’organisation;

- la question de la rémunération et des avantages conférés aux gestionnaires et

- la notion de conflit d’intérêts.

a) Subordination des intérêts de l’administrateur

Cette notion est tirée de l’article 2.7-2 des PSGGR :

2.7-2 Pour assurer la Saine Gestion, l’administrateur doit, dans l’exercice de ses fonctions, subordonner ses intérêts et se dévouer à la sauvegarde du patrimoine de l’organisation.

b) Rémunération, avantages et intérêts dans un cadre contractuel ou explicitement accordé

2.7-1 Qualité de celui qui renonce à tout avantage ou intérêt personnel autre que ce qui lui est contractuellement ou explicitement accordé dans l’exercice de ses fonctions d’administrateur, en faveur de ceux de l’organisation.

Par exemple, un administrateur profite de sa visibilité publique implicite à son poste pour accorder de l’aide bénévole et obtenir des sources de financement de tiers. En retour, il négocie ou obtient des ristournes ou des cadeaux, en apparence ou dans les faits, disproportionnés aux services rendus qui sont en principe bénévoles. Cet administrateur n’aura pas agi en conformité au présent principe. D’une part, il aura cherché des avantages non explicitement accordés par son ou ses mandants et, d’autre part, par le fait qu’il ait utilisé le prestige que lui confère son poste pour obtenir indirectement un avantage. Il y a fort à parier qu’une divulgation publique indisposerait tous les impliqués incluant les donateurs et minerait la crédibilité de leurs organisations respectives.

c) Conflit d’intérêts

L’article 2.7-3 des PSGGR introduit ici l’obligation de ne pas se placer dans des situations de conflits d’intérêts :

2.7-3 L’administrateur ne peut se placer dans une situation potentielle ou réelle de conflit entre ses propres intérêts et ceux de l’organisation qu’il est chargé de gérer.

La Saine Gestion s’accommode très mal de la double allégeance et du double intérêt. Nous avons vu précédemment qu’il doit y avoir subordination de l’intérêt personnel à celui de l’organisation. Il arrive fréquemment qu’un conflit entre plusieurs intérêts survienne sans qu’il ait été spécifiquement recherché ou suscité.

C’est en ce sens que le principe d’Abnégation permet de subordonner ses intérêts en cas de conflit, ça ne veut pas dire de ne pas avoir d’intérêt !

Bernard Brault F.Adm.A , F.CMC


5 commentaires

par Michel S. le 02/10/2011

Un chef d’oeuvre de réponse… Je l’imprime et l’affiche sur la porte de mon bureau. Bravo!

Michel

par Claude G le 02/10/2011

Cet article devrait être remis au maire de Mascouche. Il ne semble pas comprendre cette abégation ! Y a t’il quelqu’un à l’écoute qui peut le faire ?

par Claude G le 02/12/2011

Moubarak a démisionné, il finira bien lui aussi par faire de même ! Qu’il ait le texte de Brault ou non !

par Bernard Brault le 02/12/2011

Claude et Alcalino,

Restons digne, l’Institut existe pour donner des références pour permettre une amélioration de nos moeurs managériales. Couper des têtes sans changer le système ne fera que faire repousser des têtes semblables. Vous verrez pour Moubarak.

Quand au maire de Mascouche il aurait avantage (pour sauvegarder son intégrité) de vite s’enquérir des outils qu’offre Saine Gestion et de les appliquer.

L’intégrité n’est pas un état incomplet. À moitié ou à peu près intègre ça n’existe pas.

Bernard

par georges younes le 03/26/2011

Une pensée à adresser au monde .Dans les faits les petites révolutions qui s’éclatent actuellement dans les pays arabes ,est une forme d’abdication qui est une réponse directe au concept de saine gestion.Tel concept inconnu et ou absent de nos institutions .les dirigeants ,soifs du pouvoir,aliène d’abord leur âme ainsi pour aliéner leur peuple.
c’est ce concept qui peut être à la fois un message d’inspiration et un modèle à suivre.
un administrateur dans l’exercise de ses fonctions ne peut à la fois avoir un pied dans l’eau et un autre dans la vallée . Ce que souvent ce sentiment déchirant qui est omniprésent dans l’être.
Nous sommes appelés comme personne responsable à promovoir une éducation continue de l’abnégation,dans nos milieux que nous contrôlons en partie …je ne peux m’empêcher par contre de faire allusion ,que l’absence de ce principe est aussi existant dans des sociétés les plus enviantes.Beaucoup de travail reste à faire..
Faut-il penser à instaurer des lois qui condamnent très sevèrement ,les meurtiers de l’âme…???

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